L’artiste de la haute coiffure
Il se dépeint exigent, minutieux. « Perfectionniste. » La coiffure selon lui : « De la haute couture. » Inlassablement, le magicien capillaire qu’il est poursuit une quête : « La recherche du beau, de la simplicité. L’épure du mouvement, l’éloge d’une coiffure apaisée, une éthique de l’authentique. » Son nom, c’est une marque, une empreinte, une méthode. Une signature. Unique. « La coupe se réalise sur cheveux secs, afin de travailler la coiffure au naturel, dans son tombant réel. » Au service du vrai. Du sincère. « Le langage de l’apparence, avance-t-il, peut mentir ou tenter de dire la vérité, mais à moins d’être nu ou chauve, il est impossible de se taire. » Alors ses mains parlent pour lui.
Le décrivant, ses proches assurent que c’est « un discret ». De ceux vantant les vertus de l’ombre quand d’autres n’aspirent qu’à boire la lumière. « Il faut un peu de paillettes, mais lorsqu’il n’y a que des paillettes, cela m’est insupportable. J’ai toujours souhaité mettre de la philosophie dans mon métier. » Jacques Thill a beaucoup vu, tout connu. Des premiers pas dans l’apprentissage aux projecteurs des fashion weeks à Paris comme à Milan. Il a côtoyé Delon, Deneuve, le réalisateur David Lynch. Bouclé l’équivalent de trois tours du globe en sa qualité d’ambassadeur de la firme L’Oréal, membre de l’équipe de la « haute coiffure française ». Vertiges.
Metz, cependant, figure l’épicentre de cet univers. Encore ado, c’est dans « sa » ville qu’il effectue ses humanités. Expérience originelle au sein d’un salon masculin où « ça causait foot » ; Jacques Thill tique. Il persévère, pourtant. Convoque l’audace. Déjà. Et rêve de Paris. Un soir, il attrape la plume pour solliciter par écrit tout ce que la capitale compte d’illustres références dans le milieu. La providence lui sourit. Elle porte les traits de Jean-Marc Maniatis. Le surdoué de la coiffure l’accueille sous son aile, bienveillante mais intraitable. « Mon mentor. » Auprès de lui, Jacques Thill apprend, enregistre. S’élève. La route s’ouvre, les horizons se démultiplient.
À Paris, il s’enivre : « Je découvre l’univers de la mode, les studios. Un autre monde. » Il pourrait y rester. Mais sa carte de visite en gestation réclame d’autres attentions, d’autres qualifications. En l’occurrence un brevet de maîtrise, diplôme disponible en droit local uniquement. Metz le rappelle à lui. Valse des allers-retours entre Moselle et capitale. Le diplôme convoité, il l’obtient. Avant de croiser l’amour. Son cœur oscille, mais « je décide de rester à Metz ». Il a 27 ans. En dépit de sa jeunesse, on lui confie les clés du salon d’un centre commercial et la direction d’une équipe de 24 salariés. Le cuir s’épaissit, ses rêves s’épanouissent. Un par un, il les réalise. Dès 1987, Jacques Thill prend son envol à la tête d’un premier établissement, déjà au centre-ville, rue du Neufbourg. Il y restera huit ans. Dans les médias, la coiffure connaît alors son âge d’or. « Gaultier, Mugler… Il y avait des créateurs. C’est moins le cas à présent… » Nulle aigreur dans l’analyse ; un constat, voilà tout. Aimer son métier, c’est aussi en connaître l’histoire, les tournants, sa trajectoire.
La sienne, à partir de 1995, s’arrime place Saint-Martin. Depuis plus de vingt-cinq ans, c’est là que le maestro entre en scène. Là qu’il continue, aujourd’hui toujours, d’apposer sa griffe : « La coupe de cheveux à mémoire de forme : un travail en profondeur de la matière, comme le ferait un sculpteur. » Celles qui le guident, l’inspirent, l’émeuvent : les femmes. « L’idée, après le lavage de cheveux, c’est qu’elles puissent être coiffées sans autre apparat, libérées de cette contrainte. » L’idée, surtout, c’est de les écouter, les entendre, les révéler à elles-mêmes. « L’élégance, ne serait-ce pas l’oubli entier de ce que l’on porte ? », interroge-t-il. Son élégance à lui : être présent tout en s’effaçant. Donner à voir tout en n’en montrant rien. Alors, oui : artiste, artisan, exigent, méthodique, passionné, perfectionniste… Mais d’abord et avant tout : « Un confident. » Et c’est le mot de la fin car il dit tout, et plus encore : « Je suis un confident de la personnalité de mes clientes. »